Fragments de récit

Je suis partie de ce mot.

J'ai commencé à remplir, au stylo à plume, les pages d'un carnet. 

La page d'écriture est un exercice envoutant, hypnotique, une redite infinie du geste pour emplir l'espace d'un seul signe répété.

Les variations du geste sont à peine perceptibles, Marinette Cueco en parlait comme d'"une vacance de l'esprit dans la répétition même, cet espèce de bercement qui te laisse disponible, ouvert, et permet aux idées et aux formes d'apparaître au cœur même de la matière », avec d'infimes modifications du geste, jamais égal à lui-même, qui donnent une texture particulière à la matière travaillée.

Puis des lettres isolées, chacune dans son espace propre.

Le médium, l'encre de Chine. Le support , un papier blanc. Relation du noir et du blanc, du plein et du vide. L'outil, une branche de romarin. Des signes aléatoires vont surgir, résultat de l'imprécision, du hasard, promenade où, comme dirait Pierrette Bloch, l'imprévu est la norme.

La lettre est toujours liée au corps. Lettre manuscrite : la main est là, l'être enchaîné à elle;

elle est signe-image, libérée de son rôle linguistique -faire partie d'un mot signifiant-, elle ne veut rien dire, et donc peut tout dire. Et les lignes, courbes, taches et volutes sont sources spontanées d'histoires qu'on se raconte.

Seule la lettre est innocente. Sonorisée, mais toujours isolée, elle n'a pas plus de "sens" que tracée seule sur le papier.

La sonorisation de chaque lettre, laissée au choix de son interprète (ici, voix d'amis et de familiers sollicités pour cette étape du travail) crée le malaise lorsqu'un agencement choral de chaque voix liée aux autres fait surgir le chaos.

Comment rejoindre l'autre ? S'exprimer, est-ce sortir du chaos ?

Ensuite, vient l'idée du tableau noir, celui de l'apprentissage, de la découverte, de la recherche. Inverser le blanc et noir, imposer un format unique, et puis construire une partition avec tous ces fragments réunis.

Montrer comme on tente de communiquer, comme on échoue à dire, comme c'est avant tout l'émotion qui émerge de ces fragments de discours à l'état originel, celui du désir de dire.

Atelier de recherche, EESAB Lorient, 2024-25